Villagexpo-Limal 1972
 
PROMENADE DANS LE TEMPS ET L'ESPACE.
D'OTTIGNES A WAVRE

     Chez nous, à l'ouest de la splendide courbe mosane, quand le relief est quelque peu mouvementé, une périphrase suggestive est fréquemment utilisée pour désigner l'aire territoriale que caractérise ce petit phénomène de houle. C'est ainsi que, à propos de la partie du Roman Pais drainée par la Dyle et la Lasne, on entend parler des " Ardennes brabançonnes ".

     De fait, cette région fait penser - de loin ! - à l'Ardennes. C'est un plateau qui, raccordé à la Hesbaye, a été profondément entaillé par les eaux. Outre les deux rivières citées, cent petites vallées creuse cette terre et en dénude, par endroit, le limon d'origine éolienne qui la recouvre ainsi que le sable, l'argile, le grès qui s'étagent également au-dessus de son socle primaire, composé de quartzite. Coulent au creux de cette vallée, l'Argentine et de nombreux ruisseaux dont ceux de l'Ermitage, de l'Etroit-Bec, de la Bawette, du Fonds des Mays, du Godru, de la Bilande, de Louvranges, etc. Tous ces noms, comme ceux des villages et de leurs hameaux, fleurent bon la solide et rustique romanité de ce petit pays de vieille civilisation appelé, de toute évidence, à une nouvelle et prometteuse destinée. Depuis un demi-siècle, en effet, sa population est en incessant accroissement : elle à triplé, quintuplé ailleurs. Bruxelles n'est qu'à quatre ou cinq lieux et, de plus en plus, la vocation résidentielle de la région s'affirme magnifiquement. Les réalisations de la Société Nationale terrienne dans ce secteur de la province mitoyenne en sont une preuve. Voyez, par exemple, sur Ottignies, le quartier du Petit Ry ! Les communications ferroviaires, nombreuses et rapides, et l'autoroute rapproche singulièrement la région de la capitale, tant et si bien qu'elle se présente actuellement comme une " banlieue verte " offrant à ceux qu s'y établissent, le calme et le plein air.
     Cette avec raison que l'on a fait remarquer que la site conditionne l'événement. L'expansion de la région prouve déjà la pertinence de cette observation, et cette expansion se réalise sous nos yeux. Il est bien évident que cette expansion , si elle est favorisée par la relative proximité de la grande ville, résulte pour une part importante de l'aménité d'un paysage dont nos lointains ancêtres de l'âge de la pierre appréciaient déjà l'accueillante physionomie. Des stations préhistoriques n'ont-elles pas été repérées un peu partout, d'Ottignies - où le promontoire du bois de l'Etoile dominant la vallée de Ry Agon fut occupé par l'homme de la pierre taillée et polie - au bois du Tour et au plateau de Stadt qui se situent sur le territoire de Wavre ? .
     L'histoire, depuis ces premières âges jusqu'à l'époque actuelle, n'est qu'un tissus serré de faits et gestes dont les analyse au compte-fils allongerait démesurément cet article. Disons seulement que, au temps de la Pax Romana, la région se couvrit de villas dont l'une cache encore ses substructions dans le sol wavrien des coteaux des Hayettes, non loin de la ferme de l'Hosté, et que la féodalité implanta, à gauche et à droite, ses forteresses - château ou simple tour de guet - à l'ombre desquelles des agglomération prirent naissance. Wavre est mentionnée pour la première fois en l'an 1050, dans une liste de miracles attribués à saint Trond. Rixensart fait l'objet d'une citation inaugurale en 1217.
     Peu à peu, les bourgs se développent aux bords des ruisseaux, des rivières, des routes qui métamorphosent ses métayers en commerçants, artisans, aubergistes même. Animant la vie économique, ces routes sont également empruntées par les armées dont celles du duc de Saxe, du général hollandais Van Rossum, de Louis XIV et du duc de Marlborough. Mais la région garde surtout un souvenir d'une épisode de l'ultime compagne napoléonienne.
Après l'indécise victoire de Ligny, les troupes de Grouchy poursuivent l'armée de Blucher faisant retraite à travers le Brabant Wallon. Et, tandis que s'engage la bataille de Waterloo, des combattants opposent les avant-gardes de Grouchy au Prussiens aux environs de la ferme de Lauzelle ; à Wavre même pour la possession du pont du Christ, à Bierges, à Limal. Au pont de Bierges, le général français Gérard est blessé. La lutte fait rage des heures durant. Finalement, les Prussiens sont refoulés vers Champles et les bois de Rixensart et de Beumont. Mais il est trop tard : Waterloo a sonné le glas des ambitions de l'Aigle ! Il y a eu aussi, évidemment, les deux dernières guerres.


     Et il y a, enfin, cette expansion à laquelle nous assistons aujourd'hui et qui se poursuit. A quelque distance de Lauzelle, de sa vieille ferme et de sa maison " tournante " , une cité futuriste esquisse de plus en plus nettement sa géométrie : Louvain-La-Neuve. Elle est le gage d'un avenir aux perspectives magnifiques, d'une renaissance plus vigoureuse encore puisque marquée du sceau de la jeunesse.   De cette ville qui n'a pas fini de naître dans un immense déploiement de bulldozers, de grues et d'engins herculéens,  nous ne parlerons pas davantage mais nous irons vers les villages et les petites villes qui
balisent cette terre brabançonne où, personnellement, tant de souvenirs nous ramènent fréquemment.
     Voici, tête de pont ferroviaire ; Ottignies, ce qui - en dialecte - se prononce " Okgni ". Si l'agglomération est redevable de son embonpoint au rail, elle est bien antérieure à l'établissement de celui-ci puisque le premier seigneur ayant porté le nom de la localité vivait à la fin de XII siècles. Autrefois, c'était un village essentiellement agricole, possédant quantité de fermes imposantes dont quelques-unes subsistent encore au long de ses 1.381 hectares. Outre le noyau de la localité, centré sur un église de XVIIIe siècle possédant un très beau chemin de croix d'un artiste anonyme, sur la cure et sur l'ancien château veillé par une tour de 1626, il y a maints hameaux ou quartiers avec d'autres églises dont celle, circulaire, dédiée à saint Pie X, qui a été transférée du Heysel, où elle était accolée au pavillon du Saint-Siège à l'exposition de 1958, à Petit-Ry. Et il y a, jalonnant la compagne des oratoires paysans autour desquels les oiseaux du bois de l'Etoile et du Morimont - réserves ornithologiques - viennent faire d'aériennes dévotions.

     Lieu d'un " Villagexpo " qui mériterait qu'on s'y attarde, Limal - dont on situe la naissance vers 1115 - a un passé particulièrement riche dont notre ami Charles De Vos, décédé naguère, a exploré les coins et recoins les plus Mystérieux. Hélas, les témoins de ce passé se font de plus en plus rares. IL ne reste plus du château que la porte Renaissance. On voit encore, plus loin une tour et un chapelle. Sans doute est-ce l'église Saint Martin, érigée au XVIIe siècle, qui conserve le plus de souvenirs. Bâtie sur les ossements des seigneurs du lieu, elle abrite quelques œuvres d'art, tableaux notamment, qui sont dignes d'intérêt.
Trop habitués à leur présence, les habitants ne les remarquent plus. Mais il sont soucieux de faire fructifier leurs potagers ou leurs serres qui produisent des raisins délectables.
     Entre Ottignes et Limal, Limelette fait preuve de modestie. Son territoire est sensiblement moins étendu que ceux de ses voisins. La vallée de la Dyle s 'y élargit. Là-bas, un petit pont enjambe l'eau rapide et peu profonde. De violents combats y eurent lieu en mai 1940. Vers le Buston, la campagne se fait opulente. A Rofessart dans le cimetière, on cherche la tombe du baron de Lambermont, le seul de nos compatriote qui parvint à faire preuve de plus de finesse, dans une négociation - celle relative au rachat du péage de l'Escaut -, que nos voisins et amis hollandais. Autre chose à noter : il existe, à Limelette, une station d'expérimentation du Centre scientifique et de technique de la construction. La région, décidément, est à la pointe du progrès en la matière !
     Là-bas, Rixensart s'enorgueillit de son château sur les murs duquel sont frappées, dans la pierre, les armes des SPINOLA… une famille illustrée surtout par un certain Ambroise. Cet Ambroise ne fut le bâtisseur de Rixensart à l'origine de quoi se trouvent Jean-Charles de Grave et ses successeurs, les comtes Spinola de Bruay. On pense aussi, bien sûr, aux de Mérode et, entre autres personnages célèbres, à Charles de Montalembert.
On montre encore la chambre de ce dernier. Et, dans l'église paroissiale, une ancienne chapelle castrale, une plaque porte le nom de ce Pair de France qui se partagea entre la politique et l'histoire.
Le parc étagé, qui aurait été dessiné par Le Nôtre, tourne vers la Lasne ses pelouses et ses parterres.
     Village ayant beaucoup grandi, Rixensart offre un visage avenant. Mais il fait partir à la découverte de ses abords, rendre visite à Bourgeois, s'enfoncer les allées de sable du bois séparant la route de Bierges des fonds où la Lasne alimente une série d'étangs.
De la lisière du bois, côté de la vallée, le spectacle et de toute beauté, surtout quand le soleil déclinant rase de sa lumière assourdie la surface des eaux piquées de joncs.
Ici et là, sur l'autre versant, d'heureuses taches blanches signalent des retraites champêtres.
     A Bierges, l'église Saint-Pierre protège un cimetière paysan et domine un paysage étendu que l'on découvre mieux, toutefois, depuis la route qui descend vers la Dyle. Une Dyle qui accélère sa course : 2 mètres de pente kilométrique, et se rappelle des moulins dont, jadis elle faisait tourner les roues à aubes… Il n'y a pas que la route descendante que l'on investit, du regard, un ample paysage qui est un des plus admirable du Brabant Wallon. De Champles aussi, la vue est remarquable.
     Wavre est proche. Que dire de cette petite ville toujours en fête ? Son hôtel de ville est installée dans une ancienne église ayant conservé son cloître attenant, parce que le sanctuaire desservait un couvent, celui des récollets. L'église Saint-Jean-Baptiste, en grès ferrugineux, date de XV siècle. IL convient de s'y attarder, à cause de ses richesses qui y ont été rassemblées par les vieilles générations. Derrière le presbytère compose une image d'autrefois.
     De petites rues, dont celle des Fontaines - où est né Maurice Carême, prince en poésie, par un grand jour de peine- -, vont vers la Dyle, dialoguent avec elle. Mais ce dialogue n'est qu'un monologue : l'eau fuit. Elle à hâte, semble-t-il, d'atteindre Basse-Wavre, centre de dévotion mariale de grande ancienneté. Wavre n'est pas qu'une ville. C'est aussi une campagne vallonnée, partiellement mobilisée par des bois dont celui de Beumont où la Belgique aurait son centre géodésique. Ces une campagne fort belle servant parfois de cadre à un château, comme celui de la Bawette. On la découvre mal depuis l'autoroute. Il faut quitter celle-ci, s'abandonner au hasard des chemins qui montent vers le plateau où se glissent, comme la " Belle Voie ", dans la vallée.
     Ils en apprennent davantage que tout ce que nous pourrions ecrire… Ce petit pays d'Ottignies à Wavre est prodigieusement attachant ? S'il a la fierté de ce qu'il est, du passé qui l'a fait, de la nature qui la comblé de ses dons, il a le visage tourné vers l'avenir. Et il regarde celui-ci avec des yeux clairs, limpides comme les eaux qui en égayent les pentes et les vallées, où brillent le vert des frondaisons qui est aussi le vert de l'espérance.
Joseph DelMelle (1972)